vendredi 17 février 2012

Breaking news: Wulff jette l’éponge

Voilà, c’est fait. Après deux mois d’incroyable psychodrame, Christian Wulff, l’actuel président de la République Fédérale d’Allemagne, en poste depuis la démission du Bundespräsident Horst Köhler en mai 2010, démissionne à son tour.

"Le faux Président" - une des nombreuses couvertures très critiques
consacrées au Bundespräsident Wulff ces dernières semaines.
Deux démissions du chef de l’État allemand en moins de deux ans : la république de Weimar est-elle de retour ? On espère que non, même si forcément vu de loin cela fait désordre... Ces deux abdications ont néanmoins très peu de choses en commun : le président Köhler, figure populaire très respectée, avait pris de court la nation et la classe politique en renonçant à ses fonctions sur fond de désaccord à propos de l’intervention de l’armée allemande en Afghanistan. En revanche, pour l’ex-président Wulff, cela sentait le roussi depuis Noël.

Alors, pour ceux d’entre vous qui nont rien suivi au Skandal, faisons un petit arrêt et expliquons calmement et, pour changer, en seulement quelques lignes, de quoi il en retourne.

Qui est Christian Wulff ? Cest le tout nouvel ex-président de la république fédérale dAllemagne, qui occupait, jusqu’à ce matin, un poste honorifique et purement protocolaire, mais néanmoins une personnalité morale importante pour le pays. Jen parlais déjà dans mes Chroniques en des termes nettement plus élogieux, il y a un certain temps.

Que lui reproche-t-on ? Oh, des peccadilles. Deux ou trois bricoles insignifiantes. Comme davoir obtenu (et dissimulé au public) un prêt de 500.000 euros à des conditions très favorables, de la part d’une de ses relations professionnelles, en loccurrence lépouse dun homme daffaires du puissant Land de Basse-Saxe, un État qui, ô surprise, a été dirigé par le même Herr Wulff. Et aussi davoir explicitement menacé et tenté dintimider un journaliste de limmonde torchon du très respecté quotidien Bild Zeitung, qui a lheur dêtre le journal à plus fort tirage de toute lAllemagne, pardon, je voulais dire de toute l’Europe en fait, afin dempêcher cet indiscret fouille-merde de propager une nouvelle, certes vraie, mais qui bien sûr ne regardait personne. Bah oui quoi, en quoi cela concerne-t-il lAllemand moyen que des industriels saxons prêtent des sommes importantes aux présidents de Länder et au Bundespräsident en exercice ? À quoi bon alarmer le quidam, le distraire de sa Wurst quotidienne, avec de tels commérages sans aucun intérêt (presque comme le prêt dailleurs...) ? Pour plus de détails sur les débuts de l’affaire, je vous invite à lire les comptes-rendus de Caroline et de Fab. À elles deux, elles font bien mieux que cet article tout pourri du Monde, je ne vais pas m’amuser à les paraphraser.

Par la suite, à partir du moment où les journalistes et les juges ont commencé à s’intéresser aux cuisines de M. Wulff, les casseroles n’ont pas tardé à en sortir : certaines, banales et insipides, comme cette accusation de leasing de sa voiture particulière à des conditions favorables consenties par Volkswagen, d’autres, nettement plus corsées, voire faisandées à souhait, notamment la révélation que l’État de Basse-Saxe, sous la présidence de Christian Wulff, ait apporté sa garantie à un prêt de 4 millions d’euros à une société de production dirigée par un ami du président. Pour couronner le tout, l’heureux bénéficiaire du prêt aurait ensuite invité M. Wulff à passer des vacances sur l’île de Sylt (dites «Zulte»), le Saint-Trop’ teuton, et aurait peut-être bien payé le séjour de celui qui allait devenir par la suite président de la République.

"Bien tenté, mon garcon !"
"Ce petit chenapan fait du chantage à Bild !"
Je dis bien «aurait», comme les journalistes, parce que l’enquête n’a pas encore établi les faits avec certitude : il ne s’agit encore pour l’instant que d’accusations, et il convient de respecter le principe de présomption d’innocence dans ce cas, comme toujours. Le Bundespräsident allemand, tout comme sont homologue français, est en principe à l’abri des poursuites et des enquêtes trop intrusives, protégé par l’immunité judiciaire prévue pour la fonction. Qu’à cela ne tienne ! Cette semaine, dans un nouveau rebondissement sans précédent, les juges allemands du parquet de Hanovre ont demandé au Parlement de lever cette immunité, afin que la justice puisse faire son travail. C’était une première. Jamais la fonction présidentielle n’avait été humiliée à ce point.

Herr Wulff, qui depuis l’affaire du coup de fil au journaliste de Bild, avait déjà perdu toute crédibilité aux yeux du public, a donc démissionné, queue basse, après huit semaines fort peu glorieuses. L’enquête peut véritablement commencer. Et dire que Frau Merkel s’était donné tant de mal pour le faire élire après la démission surprise de son prédécesseur... non mais fraiment, quelle duile, doit-elle se lamenter en ce moment.

Croyez-vous qu’en France, «mère des Arts, des armes» et surtout «des Lois», le scandale aurait pris une telle ampleur ? Je crois connaître d’avance votre réponse. Ces dernières semaines, j’ai éprouvé alternativement de l’admiration pour la vigueur de la démocratie allemande et pour le haut niveau d’intégrité morale qu’elle attend des dépositaires de l’autorité, de l’incrédulité quand la polémique s’attardait sur des aspects vraiments triviaux (le leasing auto du président, non mais vraiment !), et de la honte pour notre système politique français pourri jusqu’à l’os. Aux Allemands les politiciens honnêtes, qui se font virer sans cérémonie pour des motifs comme avoir triché sur leurs diplômes, avoir utilisé leur voiture de fonction pendant leurs vacances, ou être soupçonné (et même pas encore inculpé) de népotisme. Aux Français les Pasqua, les EPAD, les Jean Sarkozy, les Takieddine, les Jacques Chirac, les Xavière Tiberi, les Balkany, les DSK, les «listes» de l’affaire Clearstream, leurs «corbeaux» (et leurs «renards» ?),  les «responsable(s) mais pas coupable(s)»... Non, pas coupables, juste une clique de minables pour qui le débat politique et l’exercice du pouvoir se limitent à des polémiques stériles, ponctuées de «petites phrases» assassines pour assurer le spectacle et régaler la plèbe avec panache.

Il est dans l’air du temps, le prétendu «modèle allemand». Les politiciens français, peu avares de leurs formules creuses, nous en resservent tous les jours. Que l’économie allemande soit à l’heure actuelle plus florissante que l’économie francaise ne fait pas de doute, mais parler de modèle de société est pour moi une grossière simplification. En revanche, notre classe politique ferait bien de s’inspirer très vite de ce «modèle allemand» en matière d’honnêteté et de dignité de nos dirigeants. Elle pourrait tendre à imiter ce «modèle allemand» en matière de liberté de la presse, au lieu de mettre les médias en coupe réglée. Mais non, de ce point de vue, pensez-vous, circulez, braves gens, il n’y a rien à voir.

Eh bien si les hommes politiques ont encore un semblant de pouvoir face aux banques, on n’a pas fini de se faire distancer par l’Allemagne.

PS : Sur une note plus légère, l’affaire Wulff m’a aussi bien fait rigoler. Les trouvailles du public allemand pour montrer leur mépris pour leur Bundespräsident qui s’enfonçait dans la controverse étaient parfois férocement drôles. Il y a eu, comme le rappelle Fab, l’invention du verbe “wulffen”, qui est entré dans la langue courante avec pour signification «engueuler quelqu’un par message téléphonique interposé», il y a eu cette annonce «fake» mise en ligne pendant 24 heures par le très sérieux site dannonces immobilières Immobilienscout24, mettant à la location le château de Bellevue, résidence officielle du président allemand, comme le palais de l’Élysée, mais en moins bien à Berlin. L’annonce a disparu du site d’Immobilienscout, mais vous pouvez encore la voir ici. C’est féroce. Si cela vous intéresse, je vous en ferai volontiers une traduction.

Capture d'écran de l'annonce "Château Schönblick" sur le site Immobilienscout.

Dans nos conversations, mes ami(e)s allemand(e)s le comparaient avec dédain au Ken de Barbie : quand on ne se fait plus respecter, même le fait d’être grand, blond et moyennement beau gosse devient un sujet de moquerie (une consolation pour M. Sarkozy peut-être ?). Le fin du fin, c’étaient les satires du Postillon, mon site allemand préféré : «Wulff laisse un message sur la boîte vocale de 82 millions de citoyens allemands et leur ordonne d’oublier l’affaire», «Wulff logé dans un luxueux château aux frais du contribuable», «L’honneur du président Wulff sauvé par la création d’un Bad President à qui lon adressera tous les reproches que l’on voudra», etc. À mourir de rire. On en vient presque à regretter que Christian Wulff s’en aille si tôt : grâce à lui, parler politique était devenu presque aussi absurde et divertissant qu’en France. L’ennui, avec les politiciens teutons, c’est que le fun ne dure jamais assez longtemps.

16 commentaires:

  1. Ah la la, pauvre Angela! (merci de me tenir au courant des dernières nouvelles, je n'ai pas la télé et je n'écoute pas la radio, et je me tiens le plus loin possible de tout ce qui parle de politique... mais expliquée par toi, la politique est beaucoup plus intéressante, tout à coup ;))

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    1. Oui, pour Angela c'est pas un cadeau du ciel cette histoire !

      Eh ben je suis bien content que cela serve à quelqu'un que je parle politique. Merci pour cette gentille remarque, et bon weekend :-)

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  2. Je confirme, expliqué par toi c'est intéressant ET drôle!

    Les politiques français devraient s'inspirer du sérieux allemand?
    N'oublie pas que les Français donnent les leçons....ils n'en reçoivent pas ..... :-))

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    1. Là c'est une très bonne remarque ! Recevoir des leçons, nous ? Mais jamais de la vie ! Pour une Allemande vivant en France ça doit être exaspérant parfois...

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    2. Suisse allemande....et ça, crois-moi, c'est encore plus difficile! :-))

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    3. Tiens, je ne sais pas pourquoi, mais je n'ai aucun mal à te croire Sonja ! En même temps, vous autres les Suisses, hein... non je rigole !!!

      :-)

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    4. Ich weiss...ich weiss! :-))

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  3. Ma première réaction quand j'ai entendu cette nouvelle à la radio a été: j'en connais un qui veut tout faire comme les allemands, avec un peu de chance ça l'inspirera ;-)

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    1. Mouais ben là on peut toujours courir ! Ils en ont de la chance pour le coup les Allemands...

      :-/

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  4. En France, il n'y a que ARTE qui en parle. Il ne faut pas donner de mauvaises idées aux français.

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    1. Surtout pas leur donner l'impression qu'il y a des pays où les hommes politiques ont de la dignité et se font virer lorsqu'ils manquent d'intégrité. Surtout pas !

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  5. L'Allemagne est vraiment admirable! J'avais déjà été impressionnée l'année dernière par l'affaire zu Gutenberg et ça continue.

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    1. En fait c'est le résultat du travail d'une presse forte et vraiment indépendante du pouvoir politique, comme le confirme ce rapport de Reporters Sans Frontières, et d'une culture nationale vraiment allergique à la corruption. Bien sûr que la corruption existe, mais alors une fois qu'elle est détectée et connue du public, l'opinion ne la tolère absolument pas et le politicien ne peut plus travailler, tellement la presse le descend en flèche !

      Je ne comprends pas pourquoi nous ne sommes pas capables de la même chose en France...

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  6. Merci à tous pour vos commentaires... c'est pas mal d'élever le débat parfois :-)

    Pour avoir parlé à certains de mes amis allemands ce weekend, je suis encore plus étonné par cette affaire car pour eux tous c'était absolument évident que Wulff allait démissionner sans délai... en fait ils ont été surpris par le temps que cela a pris de le dégager ! Moi, au contraire, avec mon regard de Français sur la chose politique, je croyais naïvement qu'il avait peut-être une chance de sauver sa place...

    Il y a vraiment un gouffre culturel entre la France et l'Allemagne sur les questions d'intégrité en politique.

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    1. Aucun autre pays n'a autant fait (et fait encore) son autocritique depuis des années. Depuis 68, où la Jeunesse allemande a exigé bruyamment des comptes aux familles, les dérives des hommes publiques passent difficilement!

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    2. Les premiers de la classe, ils sont vraiment insupportables en fait !! Enfin je comprends mes camarades de classe du collège qui ne m'aimaient pas beaucoup :-)

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