mercredi 21 septembre 2011

Mais d’où venez vous, cher ami ?

Un dimanche matin de septembre, aéroport de Berlin-Tegel. Le ciel est gris et bas, il pleut à torrents. Un voyageur jetlagué, trop épuisé par les dernières journées qu’il a principalement passées dans des avions et des aéroports un peu partout pour que le temps maussade l’affecte, décide de héler un taxi plutôt que de s’affaler dans le bus et de louper sa gare de S-Bahn. Il se traîne jusqu’à la station de taxis. Une femme brune au teint mat lui fait signe de monter dans sa Mercedes. Le voyageur laisse ses bagages dans le coffre, et s’installe à l’arrière de l’automobile. Dans un allemand encore plus hésitant qu’à l’accoutumée, après de longues «vacances linguistiques» loin de la sphère germanophone, il bafouille une adresse dans le quartier de Friedrichshain. C’est fou ce qu’on peut vite perdre son allemand, s’étonne-t-il alors que le spacieux véhicule démarre et file sans bruit sous la pluie battante. Où peut-être est-ce seulement sa bouche pâteuse qui répugne à articuler la langue de Goethe ? À la fenêtre, il aperçoit, sur Saatwinkler Damm, le long du Hohenzollernkanal, des dizaines de ces affiches familières, rouges, blanches et noires, qui lui souhaitent un «Bon VOL RETOUR». Bonjour l’accueil. Il ne peut s’empêcher de sourire du cynisme de ce parti politique qui est allé coller ces affiches à cet endroit précis, le long de la principale rue qui mène à l’aéroport, sur des centaines de mètres. Le premier qui dit Kraft durch Freude a perdu. À part les affiches xénophobes qui mettent, ironiquement, un peu de couleur dans cette riche palette de gris tout alentour, le monde entier semble s’être liquéfié.

«Quel sale temps, hein ? Incroyable !
– Sale temps, c’est clair. L’été est bien fini.
– Vous êtes français ?
– Oui.
– Ah, französisch, c’est bien ça. Et Papa, Mama, afrikanisch

J’aime beaucoup les chauffeurs de taxi turcs. (Et heureusement, d’ailleurs, car il n’y a pas beaucoup d’autres nationalités dans la profession, de vous à moi.) Il y en a deux catégories : les «taiseux» qui, silencieux et renfrognés, me conduisent à bon port en un temps record, avant même que j’aie le temps de me lasser des tagadoum-tsoin-tsoin de leur CD de pop orientale ou de hip-hop turc, non sans jeter quelques regards mauvais vers moi dans le rétroviseur de temps en temps, et les «causeurs», qui font gentiment la conversation sur n’importe quel sujet, avec la foi et la conviction des illuminés. J’apprécie le fait que les taiseux me laissent regarder défiler les rues en paix, mais j’ai un faible pour les causeurs. On refait le monde ensemble. Et le monde, bah il est sacrément simple en fait : les Allemands et les Français sont blancs et s’appellent Schmidt ou Dupont, les Africains sont noirs (et inversement, les Noirs sont nécessairement africains), les Chinois ont les yeux bridés et mangent beaucoup de riz quand ils ne sont pas occupés à porter des tenues amples et à casser des briques à poings nus en poussant des cris aigus et pas toujours super virils, mais total respect quand même parce que bon, la brique elle vole en éclats. Et les Turcs sont de bons musulmans gentils et travailleurs, ou des truands bons pour la potence, ou les deux. Un monde simple, vous dis-je. Par conséquent, il y a bien longtemps que j’ai renoncé à les instruire quant à l’existence de ce confetti tropical français appelé Martinique, situé à 6848 km de l’aéroport d’Orly, un modeste récif grand comme la moitié d’Istanbul et peuplé de Français qui peuvent avoir l’air afrikanisch pour le profane, certes, mais n’en sont pas moins französisch pour autant. C’est une tâche absurde et gigantesque, à recommencer sans cesse, en pure perte. Sisyphe, en comparaison, était bien mieux loti avec son rocher, c’te mauviette. Le tonneau des Danaïdes ? De la gnognotte. Et aujourd’hui, je me sens trop las pour me lancer dans une énième leçon d’histoire de la colonisation européenne de ces îles qu’on ne voit même pas sur un planisphère, et un cours magistral de géopolitique sur le rayonnement de la France dans le monde. Dans mon allemand «petit-nègre» de surcroît, bien évidemment.

«Non, pas africains : brésiliens».

Pour les cancres en géographie : enfin vous saurez placer
la Martinique sur un planisphère !
Les Turcs savent où se situe le Brésil et à quoi ressemblent les footballeurs brésiliens. Aussi en général cette grossière affabulation leur suffit-elle amplement : ils hochent la tête avec satisfaction, ayant obtenu une réponse acceptable sur l’insondable mystère du pedigree de ce curieux passager négroïde au fort accent français et à la grammaire aussi approximative que la leur, et m’adressent ce sourire et ce regard triomphaux qui disent : «J’avais deviné, vieux. On me la fait pas à moi». LOL. Et dire que, quand j’ai quitté la Martinique il y a treize ans, les épices me montaient immédiatement au nez lorsque mes interlocuteurs parisiens les moins avisés confondaient allègrement la Martinique et la Guadeloupe comme si les deux étaient interchangeables et synonymes, comme les deux noms d’une même contrée lointaine, indéfinie, et insignifiante... Je ne laissais rien passer et remettais illico les pendules à l’heure. Quelques années plus tard, alors que je découvrais le Livre des Visages, j’ai vite fait de rejoindre un groupe nommé “If You Don’t Know Where My Country Is, Buy An Atlas, Bitch!”, une fraternité occulte de jeunes êtres traumatisés et profondément écœurés par l’ignorance abyssale de leurs contemporains qui, selon leur niveau d’inculture, pouvaient confondre Slovaquie et Slovénie, Swaziland et Suisse (Switzerland), annexaient la Colombie aux États-Unis (en l’appelant «Columbia»), trébuchaient magistralement sur la localisation de leur glorieuse patrie, le Paraguay, le Liberia ou la Bulgarie, ou pis encore, n’en avaient jamais entendu parler de leur vie. Je me sentais à mon aise dans ce groupe où des centaines d’incompris, blessés dans leur patriotisme, s’épanchaient à la cantonade et pleuraient virtuellement sur les épaules de leurs compagnons d’infortune, apatrides de la Toile tout comme eux, qu’ils soient du Vanuatu ou de Nauru, du Malawi ou des Kiribati, d’Azerbaïdjan ou du Bhoutan, de San Marino ou du Togo, du Botswana ou du Sri Lanka. La thérapie a fonctionné à merveille.

Dès lors, que de chemin parcouru depuis les fougueux éclats de colère de cette ombrageuse jeunesse déracinée ! Il y a bien longtemps que je me suis résigné à l’idée que plusieurs milliards d’êtres humains n’ont jamais entendu parler du pays d’où je viens, et parmi eux, la totalité des chauffeurs de taxi berlinois avides de conversation. Dans les pays arabes, les badauds indiscrets et perplexes, eux, ont le bon goût de me prendre pour un des leurs et de soutenir mordicus que je suis un Maghrébin pur jus, sans doute un Berbère de Ouarzazate, ou alors sûrement un Libyen qui s’ignore, peut-être à la rigueur un Soudanais ? Non, toujours pas ? Et j’ai beau jurer du contraire, rien n’y fait : je suis pour eux une brebis égarée qui finira, avec leur aide bienveillante, par renouer avec ses vraies origines nord-africaines, inch’Allah. Les Arabes ont dans le fond quelque chose de touchant, à tant insister pour faire de moi un frère. Avec les Turcs, c’est plus simple mais beaucoup moins drôle, puisque, comme je disais, en général, prétendre que je que je viens de ce grand pays de samba et de futebol où je n’ai jamais mis les pieds, ça suffit à clore le sujet. En général...

Aimé Césaire, grand poète martiniquais, se réjouit
du succès de son Cahier d'un Retour au pays natal.
Son ami Léopold Sédar Senghor le porte en triomphe.
«Vos deux parents sont brasilianisch

Zut, on s’éloigne du scénario habituel ! Je  perçois un danger imminent. Que faire ? Poursuivre sur ce terrain glissant ou limiter les dégâts ?

«Euhhhh... non. Ma mère est brésilienne, mais mon père est français en fait.
– Aaaaah, comme c’est bien : Papa französisch et Mama brasilianisch ! Vous vous sentez plutôt français ou plutôt brésilien ?
– Mmmmhhh, plutôt français quand même !
– Vous vous marierez avec une femme française ou brésilienne ?
– Ouh là, je ne sais pas... mais peu importe en fait.
– Allemande ?
– Oui, c’est ça, ouais.
– Alors vos enfants seront deutsch, französisch und brasilianisch. La classe !»

Morbleu, mais c’est une coriace celle-là ! Ma généalogie imaginaire la passionne au premier degré. Il faut absolument tenter la diversion en inversant le flux de questions et de réponses avant que je pète un câble. Je ne me sens pas d’humeur à m’inventer un avatar brésilien là, tout de suite.

«Et vous, vous êtes türkisch?
– Oui, je suis turque, je viens d’un petit village.
– Ah, ça doit être joli. C’est où ?
– C’est un tout petit village.
– C’est dans la montagne ?
– Oui, dans la montagne.
– Oooooh, ça doit être sehr schööööön ! J’adore la montagne.
– Oui, c’est joli. Mais il n’y a pas grand chose. Juste la famille. J’y rentre chaque année avec mes parents pour voir la famille. Je n’ai jamais vu Frankfurt, je n’ai jamais vu Paris, je n’ai jamais vu Brasilien. Je n’ai jamais vu Istanbul ou Ankara. Toujours Berlin pour travailler et le village pour la famille.
– Mais si vous allez en Turquie, vous avez sûrement vu l’aéroport d’Istanbul ou celui d’Ankara, non ?
– Ben voyons ! On y va en voiture !
– Ah bon... Je ne suis jamais allé en Türkei. J’aimerais bien y aller; ça doit être très beau.
– Oui, c’est beau.
– L’an dernier, je n’étais pas très loin. J’étais en Syrie. C’était magnifique.
– Vraiment ?
– Oh, oui. Je suis allé à Halab [Alep], vous savez ?
– Oui, Halab. Et ?
– C’est une ville vieille de 5000 ans ! C’est incroyable. Il y a tellement d’histoire et de culture !
– Ooooooh !
– Et on y mange bien, et les gens sont merveilleusement accueillants, chaleureux, aimables. Ils sont très curieux envers les étrangers.
– Oui, en Türkei aussi les gens sont très curieux quand ils rencontrent des étrangers. Même à moi, quand je rentre au pays, on me pose plein de questions sur l’Allemagne, comme si j’étais deutsch. Ils me demandent comment sont les Deutschen, ce que les Allemands boivent, comment ils dorment... Mais moi, je n’en sais pas grand chose, je ne suis pas allemande et n’ai pas d’amis allemands.
– OK...
– Est-ce que les Franzosen boivent autant d’eau que les Deutschen ?
– Plaît-il ?!?!?
– Est-ce que les Français boivent beaucoup d’eau ?
– Ha, ha. Bien sûr que non. Ils ne boivent que du champagne !
– Ah le champagne. C’est bon ça. Et ils ne dorment pas beaucoup, les Franzosen, n’est-ce pas ? Ils préfèrent aller au cabaret ?
– Euh...»

Avec effroi, je me rends compte que non seulement elle ne plaisante pas le moins du monde et que ses questions sur les Français sont tout à fait sérieuses, mais qu’en plus, j’ai à nouveau perdu la main et c’est à nouveau elle qui mène cet interrogatoire surréaliste. Elle a dû profiter d’une seconde d’inattention de ma part pour reprendre le dessus. Et moi je n’ai aucune envie de me laisser embarquer dans une digression nostalgique sur la grande époque de Mistinguett ou de lui fredonner les plus grands succès de Maurice Chevalier. Non vraiment pas.

«Ben ça dépend... dans les grandes villes, oui les gens vont au cabaret, mais dans les villages, les gens vont dormir plus tôt.
– Mmmh... Ach so. Est-ce que les parents français sont sévères avec leurs enfants ? Est-ce qu’ils les frappent ?
– Bah non, dites-donc, vous. Est-ce que les parents turcs frappent leurs enfants ?
– Si les enfants font des bêtises, il faut frapper. Et les parents brésiliens, est-ce qu’ils frappent leurs enfants lorsqu’ils font des bêtises ?
– Certains, oui, d’autres, non. Ch’chais pas en fait. De toute façon je n’arrive pas à imaginer comment on peut lever la main sur un enfant...
–  Mais parfois il le faut. Comment faire sinon, wenn sie falsch machen ?
– Si vous le dites...
– Les Brasilianer aiment beaucoup danser, non ? Ils jouent de la bonne musique et dansent tout le temps ?
– Oui, ils dansent bien. Pardon, “on”danse bien, “nous autres”, au Brésil.
– Est-ce qu’ils sont riches comme en Deutschland ?
– Il y a des riches comme en Allemagne, mais il y a des pauvres aussi.
– Et en Frankreich, les gens sont riches ?
– Peut-être un peu comme en Allemagne...
– Vos parents habitent à Paris ? Ils ont un bel appartement ?
– Non, ils ne vivent pas à Paris, mais sur une petite île dans la mer. C’est loin de Paris. Il y a du soleil, il fait chaud.
– C’est une île de luxe avec des millionnaires et des villas et des bateaux ?»

Damnation ! Malgré tout ce pipeau sur le Brésil qui me coûte tant d’efforts à rendre crédible, me revoilà sur le point d’être questionné sur cette petite île inconnue qui m’a vu grandir. Mon interlocutrice déborde d’imagination, et moi je n’ose plus lui expédier des réponses trop simples et trop éloignées de la vérité, de peur de m’enfermer encore davantage dans mes bobards et de ne plus pouvoir m’en sortir, car la «chauffeure» (pour causer moderne) ne perd pas le fil, même dans cette conversation en apparence archi-décousue.

«Non, une île normale, avec des gens normaux.
– Des Français ?
– Oui.
– Il y a beaucoup de Brésiliens sur cette île ?
– Euh, non, juste ma mère en fait...
– Est-ce qu’il y a des Noirs alors ?
– Oui, il y a des Noirs, et des Blancs aussi.
– Ah bon ? Mais c’est en France ou en Afrique ?»

Et voilà, nous y sommes. En fin de compte, je me retrouve contraint à résumer l’histoire de la conquête des Antilles par les Européens, le génocide des Indiens Caraïbes, l’esclavage, les plantations de canne à sucre. Vous avez donc encore des esclaves, s’inquiète-t-elle. Je la rassure : meuh non, les Noirs ne sont plus esclaves, d’ailleurs, il n’y a plus d’esclaves, puisque c’est... euh... interdit. Mais les enfants des esclaves d’antan sont restés. Et leurs arrière-arrière-arrière-arrière-petits-enfants sont les Martiniquais d’aujourd’hui, conclus-je, ému, en une sublime envolée lyrique dans mon plus bel «Unserdeutsch».

Ça ne loupe pas, j’ai droit à la réaction habituelle : le silence perplexe et incrédule. Ça tient pas debout mes histoires de Noirs même pas africains (et encore moins brésiliens) qui se prennent pour des Français alors qu’ils sont noirs et vivent pieds nus sur une île qui n’existe pas, puisque le Premier ministre Erdogan n’en a jamais parlé. C’est comme de la science-fiction, mais en beaucoup moins bien. À ce stade, le «causeur» se fait invariablement «taiseux», et après une courte pause méditative, allume la radio sur une station qui diffuse des braillements enamourés de pop orientale, pour ne plus avoir à entendre les menteries effrontées de ce passager outrecuidant. Et bien heureusement, la course touche rapidement à sa fin. L’instant d’après, ma «chauffeure», comme les taiseux habituels, me débarque devant ma porte, exige son dû, se déleste de mes bagages, et repart prestement, sans demander son reste.

De grâce, donnez-moi un tonneau sans fond à remplir jusqu’à la fin des temps : je suis preneur.

27 commentaires:

  1. Encore un bon article, c'est vrai que certains chauffeurs causeux sont difficiles à gérer, surtout à 4h du matin en rentrant de soirée quand le chauffeur qui était parti sur le foot enchaine sur la politique internationale française... Et là c'est dure.

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  2. Un grand bonjour, mrbonsoir ! C'est clair, les causeurs berlinois n'ont pas leur pareil pour dérouter leur client avec les grands bonds de leur logique imparable... Il y a des pays où ils sont plus faciles à suivre : à Beyrouth, ils ne parlent que de femmes. C'est tout de même plus simple :-)

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  3. HA oui quand ils posent la question: vous êtes d'où, et que je dis de France, "Ach ja vronkreisch!!!!!!!!" ahahahah des fois c'est enervant mais bon c'est pas très grave, je m'amuse bien à imiter les dialectes allemands...

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  4. J'adore la cote de popularité de la valeur "Vronkreisch" chez les Teutons, c'est un capital inestimable ! La valeur "Maahtinik" se porte très bien aussi, chez les Allemands d'un certain niveau d'instruction et d'ouverture d'esprit ("Ach soooo, in der Karibik! Eine Trauminsel! Wie schööööön!"), d'autant plus que du coup cela explique instantanément mon "faciès", et l'Allemand aime cela, lorsque "tout colle" sans tordre la logique.

    Malheureusement, je n'ai pas encore trouvé la méthode pour satisfaire pleinement les chauffeurs de taxi turcs, surtout les plus curieux...

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  5. Tu es sévère! Cette femme n'a pas vu le monde... comment saurait-elle?

    et moi qui suis diablement cultivée et prétentieuse, je confonds les Martiniquais et les Guadeloupéens. OUI! c'est VRAI! je suis infoutue de faire la différence - pardon! Je me doute bien que cela doit être insupportable.

    Tout comme les Belges doivent avoir envie de foutre le feu à la Tour Eiffel quand on leur demande s'ils sont Français.

    10/10 pour la légende sous la photo... j'en ris encore

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  6. Super ta chronique, Chroniqueur ...
    Je suis blanc comme la peau de ta main mais combien de fois n'ai-je pas rencontré ici ou là dans le monde cette "pâle" incrédulité mâtinée d'une légère "teinte" de bêtise ...
    Elle me laisse en général totalement désarmé et du coup, c'est moi qui devient le taiseux.
    ---
    Manon, pourquoi ne réserves-tu pas ta tolérance à d'autres causes qu'à celle de pardonner la bêtise et la sclérose mentale en plaques ?
    Cette chauffeuse de taxi a quand même bien moins d'excuses à rester ignare que la cultivatrice de Cappadoce croûlant sous le poids des traditions et dont la vision du monde s'arrête à l'extrémité de son soc.

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  7. oops, je voulais dire :

    "blanc comme la 'paume' de ta main"

    et pas :

    "blanc comme la 'peau' de ta main"

    lapsus chromatique ... et toc ;-)

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  8. Manon, je te le concède, je parlais à une "chauffeuse" de taxi kurde anatolienne peu instruite. J'ai fortement abrégé la conversation, car elle était très longue. Il y a eu des moments d'anthologie :

    "Vous avez étudié quoi ?
    - L'économie.
    - C'est quoi, l'économie ?"

    Va expliquer la définition du concept de "Wirtschaft" en allemand au pied levé !!

    Elle m'a cependant surpris à plein d'égards : elle était peut-être ignorante, mais elle était extrêmement curieuse. Elle n'était pas débile. Elle a reconnu mon accent français tout de suite alors qu'elle-même parlait très mal l'allemand, et alors que tous ses préjugés lui indiquaient que je ne pouvais pas être français...

    Après, je ne lui en veux pas personnellement. Il y a longtemps que je me suis habitué à m'inventer des origines qui ne sont pas les miennes juste pour conforter mon auditoire... Ça ne me gêne pas ! En 40 minutes dans un taxi, il est difficile d'aller vraiment au fond des arguments de toute façon.

    Ensuite, "confondre" la Martinique et la Guadeloupe, dans l'absolu, il faut savoir de quoi on parle. Les cas qui me font vraiment halluciner sont ceux où quasiment d'une phrase à l'autre le "délinquant" se met à parler de Guadeloupe alors qu'on parlait de Martinique, ne se rendant même pas compte de son lapsus, vraiment comme si les deux étaient rigoureusement synonymes... Ça c'est fort de café non ? Enfin, c'est comme si on parlait de Corse et qu'un boulet disait "Sardaigne" une fois sur deux. Je m'y suis fait (ou du moins, j'ai décidé de laisser tomber et de ne plus monter sur mes grands chevaux), mais pour moi ce sont des cas cliniques... Par exemple, il a suffi que j'aille faire 60 fois le tour du pâté de maisons en courant, et que je prenne 4 douches froides, et j'ai pu te répondre calmement, sans perdre mes esprits ni proférer d'insultes. 100% zen !!! :-)

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  9. Yann, en effet "blanc comme la peau de ma main", euh comment dire, est une affirmation pour le moins bancale :-)

    Avant je pensais comme toi mais j'ai décidé d'apprendre à laisser passer, sinon je serais tout le temps à cran. Ça arrive malheureusement trop souvent des anecdotes de ce genre. Lorsque ça se passe avec des taxis turcs ou avec les vendeuses dans les montagnes du Mexique, ça passe, et dans le fond leur réaction n'est pas pensée avec méchanceté (ou du moins je le prends ainsi). Ça dépend de l'interlocuteur, et j'ai déjà vu et entendu bien pire, y compris de la part de chauffeurs de taxis (immigrés), et je ne me suis pas privé de leur exprimer le fond de ma pensée...

    Nous aux Antilles sommes fiers de notre héritage africain, alors si certains veulent absolument que cet héritage remonte directement à mes augustes parents plutôt qu'à des ancêtres disparus il y a 200 ans, et ne peuvent le concevoir autrement, eh bien soit.

    Je ne parle pas d'excuser n'importe quoi en invoquant l'ignorance comme excuse, c'est trop facile, mais bon il faut parfois se simplifier la vie...

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  10. Non mais LOL quoi ! Excellentes les légendes sous les photos. Je crois que je ne me remettrai jamais de Léopold Sédar Senghor...

    Je me reconnais pas mal dans ce que tu dis. Moi aussi, je suis obligée d'entreprendre un cours de géopolitique et d'histoire de la colonisation francaise à chaque fois qu'on me dit "ach, ta famille vient d'Algérie ?!? ca alors, tu n'as pas l'air du tout !"
    Ok, comment traduire "pieds-noirs" en allemand, heu...

    C'est vrai que des fois, on a juste envie de se présenter en trois mots, pas de partir dans des détails super compliqués. Mais sinon, en général, je suis assez fière d'être un bout d'Histoire.
    (Mes parents sont un peu plus vénère quand on leur marque sur la carte d'identité "né à l'Etranger"...)

    Bon, tout ca en fait juste pour te prévenir que je te pique cet article, une fois l'avoir méga-simplifié, pour mon élève de francais demain... Ca fera au moins un allemand de plus qui saura où est la Martinique.

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  11. "Pieds-noirs" en allemand ? Fastochissime ! "Schwarze-Füße" ! Pourquoi couper les cheveux en quatre ? Nul besoin de chercher midi à quatorze heures ! (Warum die Haare in vier schneiden ? Null Bedarf, Mittag um vierzehn Uhr zu suchen!)
    :-)
    Il paraît que Senghor et Césaire n'étaient pas mauvais au foot, c'était leur violon d'Ingres. Et toc !
    Allez, pique, pique. Espérons que ton élève en retiendra quelque chose :-)

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  12. Salut,
    Descendant d'une creole de la reunion j'ai moi aussi decide de ne plus chercher a expliquer d'ou je venais ( a ma connaissance personne ne connait La Reunion a part les francais) mais au moins on n'a jamais confondu mon ile avec une autre ^^.
    Maintenant quand on me demande je reponds
    -francais
    -mais de ou/quelle origine/tes parents?
    -de France !

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  13. Kita,
    Les Français "connaissent" le mot "Réunion", mais demande-leur de localiser l'île sur une carte ...
    Les Zoreilles sont tous des dégénérés et certains sont encore pires : ils sont CHAUFEURS DE TAXI !!!
    ;-)

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  14. Salut Kita, solidarité domienne ! Quel dommage, tous ces gens qui n'ont jamais entendu parler de la Réunion ! Ils ne savent pas ce qu'ils perdent, ces boulets ! C'est une très belle île :-)

    Je comprends ta stratégie, en effet, je m'amuse de voir le regard soulagé lorsque les gens comprennent mes origines et que la réponse leur paraît assez plausible. Ça se lit dans leur regard... Mais à ceux qui ne savent pas situer la Martinique sur une carte, je me fais un plaisir de le leur expliquer gentiment. En général, ils s'imaginent un paradis tropical et me disent "Oh là là mais comment que tu as quitté ton beau pays pour venir dans le froid, on rêve tous de faire le contraire, ça doit être dur dur dur !", et je prends ça comme une forme de compliment :-)

    Yann, en effet je ne saurais plus compter le nombre de fois que des gens (y compris des Français d'ailleurs) on cru que je venais de l'île Maurice, juste à cause de la ressemblance phonétique avec "Martinique"... mais que veux-tu ? Pour ma part, je prends le parti d'en rire :-)

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  15. J'adore ce texte! J'ai survécu à 10 ans de vie aux Etats Unis où à chaque fois qu'on me demandais d'où je venais et je répondais "I am from Switzerland" on me disait "so you speak Swedish?" ou "oh, my cousin lives in Oslo"... heu.... et comme toi, j'ai fini par laisser tomber. Ici, tout le monde pense que je viens de Québec à cause de mon petit accent français... mais là, quand même, j'explique que non, je viens de Suisse, et les suisses parlent français et pas seulement allemand, si si, promis! *soupir*...

    Sur ces bonnes paroles, je vais me coucher... mais pas avant d'avoir vérifié où se trouve la Martinique... aaahhh, pas tapper pas tapper!!!!

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  16. C'est quand même fou ça ! Quand même, la Suisse, le chocolat, Guillaume Tell, les montres et tout ça, les gens devraient connaître un peu ! J'aurais du mal à le croire si je n'avais pas lu toutes ces histoires déjà dans le groupe Facebook "If you don't know where my country is, buy an atlas, bitch"! C'est vraiment surréaliste le niveau d'ignorance ! Courage, je compatis. Pour la Martinique, je te pardonne, ta suissitude étant une assez bonne excuse pour ne pas savoir où c'est, et puis vous les Suisse et la mer, ça fait deux non ?

    ET TOC !!!

    ;-)

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  17. Argh ! "Les Suisses" avec 4 S en tout, bien sûr. En tout cas je suis content que cette petite mésaventure t'ait plu, Dr. CaSo :-)

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  18. Ce message est un peu ancien, mais il faut absolument que j'ajoute mon grain de sel. J'ai également eu droit à : Toi, c'est la Martinique ou la Guadeloupe ? Aucune des deux, je suis née à Sarcelles. Ou bien, de toute façon, ça ne sert à rien de te répondre, demain, tu vas me le redemander.

    Ici (aux Etats-Unis, de la part de quelqu'un qui revenait juste de France), j'ai eu droit à Are you second generation North African? Tout ça, parce que j'ai dit que j'étais française.

    L'autre jour, ma soeur et moi tentions d'expliquer à une femme du Népal d'où nous étions. Nous lui expliquons que nous étions françaises, que notre mère habitait en Martinique. Elle ne savait pas où c'était. Nous lui expliquons que c'est près de Cuba. Ah je savais que vous étiez de Cuba. Mais je ne renonce pas. Quand je retournerai dans sa station-service, je lui apporterai ma carte Médecins sans frontières sur laquelle se trouve la Martinique.

    Désolée de cette longue réponse. Et bravo pour ce brillant billet.

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  19. Ah mais il n'est jamais trop tard pour ajouter son grain de sel !!! Et merci pour cette contribution tout à fait dans le sujet ! Pas du tout trop long en plus... en tout cas tant que ça reste moins long que le billet, ça va :-)

    Oui c'est génial le fait que les gens d'une certaine manière reposent toujours la même question, toutes les quelques semaines. Parfois les gens qui me connaissent mieux, ici à Berlin, me sortent des "et tu étais à la Réunion pour Noël ?" ou bien "ça coûte combien le billet pour l'île Maurice ?" Je ne les reprends pas tout de suite, en général je réponds juste "euh, si tu voulais dire la Martinique, alors..." Héhé :-)

    Je ne m'étonnerais pas le moins du monde qu'une Népalaise n'ait jamais entendu parler de la Martinique, mais c'est clair que la réaction "ah je savais que vous étiez de Cuba", c'est priceless. En général je simplifie grossièrement la donne pour les gens qui viennent du continent asiatique et savent très peu de choses sur la France, comme tu as pu voir dans ce billet d'ailleurs, mais leurs réactions sont toujours intéressantes. Et puis l'important c'est qu'ils DOIVENT comprendre absolument pourquoi nous nous prétendons français alors que nous ne sommes pas blancs de peau. C'est mignon.

    À nous de les instruire avec patience !

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  20. Je t'ajoute une autre anecdote alors. Je travaillais à Bruxelles. Un collègue métis (belge/luxembourgeois) me faisait une imitation de Raymond Barre, sur sa véranda, en Martinique. Je lui dis : Raymond Barre, c'est plutôt la Réunion. Lui vexé me répond : C'est quoi la différence ? J'allais dire Réunion et Martinique, déjà, c'est pas le même mot. J'ai préféré : Un océan ! Il est parti s'asseoir.

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  21. Énorme ça. J'accepte volontiers qu'on se plante sur la Martinique et tout ça, contrairement à une époque où je n'arrivais pas à m'y faire, mais de là à ce qu'on me réponde "c'est quoi la différence", là je crois que je m'énerverais. Bien répondu !

    D'ailleurs je trouve ça très bon le concept de "métis belge-luxembourgeois". Rha là là, quel mélange contre-nature !!! :-)

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  22. Dans le genre métis plus célèbre, on a aussi Gaël Monfils : mère martiniquaise, père guadeloupéen.

    Comme toi, à une époque, je ne laissais pas passer. Mais, maintenant, je suis aux Etats-Unis, il faut que j'explique pourquoi je suis noire et française. Dans l'absolu, ça ne me gêne pas qu'on ne sache pas qu'il y ait des noirs en France. Je préfère qu'on me demande franchement comment il se fait qu'il y ait des noirs en France, plutôt que de tourner autour du pot : as-tu toujours parlé français ou (comme ce que tu racontes) d'où sont tes parents ? D'abord, je suis noire parce que mes parents sont noirs, et puis la Martinique est française depuis 1635. Avant de nombreuses régions métropolitaines.

    Bon, je descends de mon mulet.

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  23. Je trouve ça assez surprenant que les gens aient encore du mal avec l'idée que tout le monde n'est pas blanc parmi les Français non immigrés, mais je suis bien obligé de l'accepter. Mais je sais pas moi, il y a les joueurs de foot !!! Ou justement Monfils quoi. Moi j'adore voir les gens marcher sur des oeufs justement et essayer de comprendre mes origines par des questions détournées, et puis voir le regard soulagé lorsqu'ils ont reçu une explication qui leur semble plausible :-)

    Quand je vivais en Angleterre, c'était facile, je disais que j'ai à peu près les mêmes origines que Thierry Henry, et là tout le monde était fixé ! C'était l'époque où il triomphait à Chelsea. Bon du coup parfois je devais expliquer ses origines à lui, mais bon ça allait car les Anglais eux aussi connaissent bien les Antilles, il suffisait alors de dire you know, near St-Lucia and Barbados and so on et le tour était joué ! Après, l'ennui c'est que les Anglais avaient tendance à enchaîner direct sur "ah mais du coup tu dois être trop bon au cricket !!!" WTF quoi. En fait il se trouve que les West Indies sont des stars au cricket, alors je devais expliquer que enfin non quoi zut, y'a que les Anglais et leurs anciennes colonies pour porter de l'intérêt à ce sport pourri...

    Bref, finalement tout le monde y perd son latin avec les Antilles françaises !!! :-)

    Comme toi j'en ai fait des cours d'histoire aux gens, la date 1635 je l'ai brandie bien des fois comme l'argument-massue, mais mon expérience perso est que ça n'impressionne pas grand monde en fin de compte.

    Merci pour tes réflexions et bon weekend ! (et bon courage pour assumer tes origines héhé)

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  24. Marocain et français, je connais bien les chauffeurs de Taxi et pas que. Je voulais une pizza Calzone et le Monsieur (Turc), au lieu de me demander si je voulais de la sauce piquante, il m'a demandé ma nationalité, j'ai répondu français. C'est pas passé ! Là il me demande ma religion, coz j'ai l'air Araber, et du coup je suis musulman alors et je peux pas manger de Calzone... Wow, je me suis cassé avant de m'énerver. Mais sinon votre article était très drôle, j'aime beaucoup votre blog.

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    1. Ça c'est une tout autre expérience, et c'est vraiment édifiant... non mais de quoi ils se mêlent ces gens ??? Vraiment en-dessous de tout ces gens qui te demandent votre religion avant de vous servir une banale pizza quoi ! On est en plein délire. Quand je pense qu'au Liban (le Liban, où il y a eu une longue guerre civile liée à la religion) et en Syrie, des inconnus, musulmans, était super contents de me faire visiter les mosquées de leurs villes, etc... alors qu'ils savaient que je n'étais pas musulman. Ça c'était des gens vraiment bien. Et cette Bosniaque musulmane qui m'a presque obligé à partager (j'ai eu la délicatesse de ne pas refuser) ses grillades de mouton dans le train, à midi en plein ramadan... elle, elle m'avait demandé si j'étais musulman, mais je pense que c'était pour être sûre que je n'allais pas désapprouver son déjeuner... Bref, il y a des gens géniaux et pratiquants, des connards athées, et vice-versa... il faut de tout pour faire un monde.

      Merci pour votre commentaire en tout cas, et bienvenue sur les Chroniques !!

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  25. Réaction encore plus tardive due aux divers liens sur vos billets...
    Génial! Explosion de rire en voyant Césaire et Senghor!
    Je mettrais bien un mot en créole, mais je connais que le gwadloupéyen (un peu) et j'ai peur de me faire jeter :-)
    "Tyenbé rèd, fò pa mòli", ça passe?

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    1. Mais pas de problème pour la réaction tardive! Bien au contraire! Vu le temps que je passe à rédiger chaque billet (puis à les améliorer/corriger après publication), je suis content qu'ils ne soient pas complètement périmés au bout de 2 semaines et sombrent définitivement dans l'oubli...

      :-D

      Oui, ce duo Césaire/Senghor est aussi surréaliste que mes très nombreuses conversations sur mes «origines» avec des gens curieux mais un peu victimes de leurs préjugés... J'en ai des comme ça presque chaque semaine! Peut-être pas aussi gratinés que cette anecdote, mais presque...

      Vous vous en sortez très bien avec le kwéyòl gwadloupéyen! En Martinique on écrirait plutôt «Tjenbé rèd, [fo] pa moli».

      Il n'est pas du tout impossible qu'en Guadeloupe cela s'écrive comme vous le proposez, mais là il faudrait qu'un expert nous le confirme. De toute façon, il n'y a encore qu'une minorité de gens, même aux Antilles, qui sachent écrire le créole en respectant la bonne orthographe (une orthographe, même "phonétique", reste une orthographe avec ses conventions précises), puisque notre langue n'est toujours que très peu enseignée, hélas. Donc franchement, chapeau!

      Vous connaissez un peu la Guadeloupe alors, je suppose?

      Je suis "offline" jusqu'à dimanche soir.

      Très bon weekend :-)

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