mardi 15 février 2011

Big Brozzer in Dschermany

Tiens, je racontais l'autre jour mon escapade au ski, tout en bas au sud de l'Allemagne, et une toute petite anecdote gentillette m'est revenu à la mémoire. Dans le billet en question, j'ai brièvement parlé de mes compagnons de voyage comme mes "collègues Erasmus professionnels de Berlin", eh bien il s'est trouvé que ce joli mélange de nationalités et de cultures nous a procuré un petit moment d'angoisse sur les routes allemandes.

Quatre heures après notre départ de la capitale, et après autant de temps de trajet à tombeau entr'ouvert sur l'Autobahn, cap plein sud-ouest, nous arrivâmes en Bavière, patrie de Sissi, de Joseph "Benedikt" Ratzinger, de Bertholt Brecht et beaucoup d'autres. La Bavière, c'est 20% de l'Allemagne réunifiée, et l'antithèse de Berlin : l'opulence bourgeoise contre la précarité urbaine, les traditions rurales conservatrices contre l'avant-garde culturelle paupérisée, les puissants industriels contre les dilettantes intellectuels, les montagnes alpines contre les mornes plaines brandebourgeoises, les Lederhosen contre les jeans moulants de chez American Apparel, les valeurs familiales catholiques contre la décadence permissive du Berghain et du KitKatClub.

La frontière germano-autrichienne au domaine de Steinplatte
Notre puissant véhicule, une Mégane, si mes souvenirs sont bons, avait grand besoin de ravitaillement après cette longue traversée des chaussées givrées de la moitié nord du pays, et nous aussi avions besoin de refaire le plein de Pringles avant la non moins longue traversée de la Bavière, du nord au sud, qui nous attendait. Nous nous arrêtâmes donc à une station-service, nous dégourdîmes les jambes, nous acquittâmes du scandaleux tarif de 0,70€ pour avoir le droit d'utiliser les toilettes, et décidâmes de ne pas nous éterniser en ce lieu sinistre afin d'arriver au plus vite à notre destination alpine. Las ! Nous eûmes à peine le temps de parcourir quelques dizaines de mètres à la recherche de la sortie, et tombâmes en arrêt devant une voiture de police. Une fliquette bavaroise, qui semblait insensible au froid, fit un signe autoritaire du bras (inspiré de Nuremberg tout proche, serait-on tenté d'insinuer, mais restons au-dessus de ce genre de persiflages gratuits) et nous intima l'ordre de stationner immédiatement. Nous obtempérâmes docilement. La fliquette arriva à la hauteur du conducteur, qui se vit contraint d'abaisser sa vitre et de laisser entrer une brise polaire et des injonctions données sur un ton tout aussi glacial :

"Guten Abend, bitte Ihren Führerschein, die Ausweise und die Papiere des Autos." Pham, au volant, et qui parle trois mots d'allemand bien tassés (si on compte Bier, et son pluriel Biere comme deux mots distincts), devina la nature de la requête et présenta illico sa carte d'identité française, son permis de conduire canadien et les papiers du véhicule loué en Allemagne. Pour couronner le tout, il est né au Vietnam. Premier froncement de sourcils de la fliquette, qui sentit qu'elle avait affaire à de bons clients : "Pleess, giff me your ID, all off you", dans un anglais qui rappelait étrangement les intonations des méchants dans les films sur la dernière guerre. Les choses se corsaient. Froissements de doudounes et d'écharpes, cliquetis de boutons, dézippements de fermetures éclair, soupirs d'agacement. Enfin, nous lui présentâmes nos papiers : une autre carte d'identité française (dont le propriétaire est martiniquais), une carte d'identité espagnole, et un permis de conduire américain. Son propriétaire, Steven, est né à Hong-Kong de parents chinois, ce qui alourdissait notre dossier déjà gratiné. Dans tout ce ramassis de suspects, un seul individu parlait à peu près l'allemand, votre serviteur.

Fliquette : Where do you liff?
Nous : In Berlin.
Fliquette : All off you?
Nous : Yes.
Fliquette, [à Steven] : It's not gut wiz ze drifing licence. You're not from Europe. Do you haff your passport?
Steven : No, sorry, I left it at home, in Berlin.
Fliquette : Not gut. Do you wörk in Dschörmany?
Steven : Yes, we all work together in Berlin.
Fliquette : Ach so. Yes, you wörk togezzer, or?
Nous tous [acquiesçant avec conviction, espérant l'attendrir] : Yes, yes! In Berlin!
Fliquette [à Steven] : So you haff a wörk pörmit?
Steven : Yes, but I left that at home too, sorry.
Fliquette : Not gut at all. No passport, no wörk pörmit, no Aufenthaltsbescheinigung?
Steven : No, it's all at home. I didn't think I should take that with me today.

Sur ce, elle nous quitte et va rejoindre son collègue resté dans la voiture de police, non sans avoir laissé échapper un soupir lourd de sous-entendus et nous avoir adressé un regard qui semblait vouloir dire : "Vous êtes faits mes loulous, vous pouvez faire une croix sur votre petit weekend au ski, ou du moins vous allez d'abord nous accompagner au commissariat de Nuremberg pour raconter vos histoires". Nous observons anxieusement les policiers : dans leur véhicule, ils passent nos papiers sous toutes sortes de lecteurs optiques, scanners et autres bijoux technologiques portatifs qui illuminent leurs visages de faisceaux stroboscopiques verts et bleus. Ils ont les moyens de faire parler nos pièces d'identité et sont en mesure de leur tirer les vers de leurs nez plastifiés. Le collègue de la Fliquette revient vers nous.

Flicouille : Hello, ze US drifing lizenz does not wörk. What is your name? Steven Wong, or? Ze spelling is gut?
Steven : Yes, that's correctly spelled.
Flicouille : Ze system cannot findt you. Zere is a problem... I don't haff a glue how to check your idendidy.

Il nous adresse un sourire inquiet et attend qu'on se décide à avouer, implorants : "Oui, monsieur l'agent, nous sommes des clandestins de la mafia asiato-hispano-martiniquaise, et nos papiers ne sont pas en règle ! Allez-y, coffrez-nous !" Bref, nous commençons à flipper pour de bon dans la voiture, et Flicouille s'impatiente...

Steven [ayant un éclair de génie] : Oh yeah! Well I have a US driving licence, but I'm Canadian! You have to look into the Canadian data maybe?
Flicouille : You're a Canadian, echt? Wizz a US drifing lizenz? Ach, you people are fery konfusing!


Sur ce, Flicouille repart, clopin-clopant, vers son véhicule de police suréquipé en technologie dernier cri. Les scanners scannent, les buzzers buzzent, les machines à transmission de données bourdonnent, crépitent, s'excitent. Bingo ! Flicouille revient vers nous, guilleret : "Tout est en ortre, on a retroufé toutes fos données. Voilà fos papiers, fos permis de contuire, et la carte crise du féhicule. Zoyez prutents sur la route !" Et s'en retourne retrouver Fliquette dans leur voiture de James Bond.

Nous ne demandons pas notre reste et repartons vers la montagne, le moteur de notre Mégane vrombissant gaiement sur l'Autobahn, dont le parcours était déjà de plus en plus vallonné. Plus de policiers, plus de soirée au commissariat à Nuremberg, rien que la liberté, la neige, et devant nous, les montagnes et le ski.


Tout de même, c'est assez fou qu'ils aient pu retrouver si vite toutes les données relatives à quatre personnes de pays différents, à partir de papiers incomplets. Il y a quelque part dans le monde des super-ordinateurs qui savent tout, absolument tout sur nous, si on leur donne un simple permis de conduire. Depuis, je ne mets que des chaussettes propres le matin, au cas où... Quant on pense que les Allemands ont fait tout un fromage (ou plutôt, toute une choucroute ?) contre Google Street View, c'en est confondant de naïveté !

2 commentaires:

  1. La restranscription de l'anglais-allemand est on ne peut plus fidèle. Je pouvais entendre la fliquette... un grand bonheur !

    Ah et, à moins que ne t'identifies au peuple allemand, il y a une jolie coquille dans la dernière phrase.

    Grüsse aus Kölle,

    die -pas pour rien- Korinthenkackerin

    RépondreSupprimer
  2. Ouuuupppssss !!! Drôlement bien vu ! Merci chère Korinthenkackerin !! En effet, c'est un surnom amplement mérité ! Je m'en vais corriger de ce pas cette horreur !!
    :-)

    RépondreSupprimer

Un petit bonjour ?

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...