mercredi 24 novembre 2010

Das Kino comme au bon vieux temps

En cherchant suffisamment longtemps, on finit bien par trouver quelques rares domaines où Berlin parvient à peine à se hisser à la cheville de Paris. La gastronomie par exemple. Hé, les Allemands, si vous voulez voir votre gastronomie au patrimoine mondial de l'UNESCO au même titre que la fabrication des jouets en bois de Hrvatsko Zagorje, vous pouvez encore vous brosser ! Il n'est pas encore né le "Paul Bockühs" teuton qui déclenchera une explosion de plaisir à chaque bouchée, au moins comparable à l'explosion de joie chez l'enfant croate qui s'émerveille devant son joujou en bois trop beau. Bon, ça c'était pas si difficile à trouver, en fait. Euh, quoi d'autre sinon ? Les Vélibs, aaah les Vélibs... on a beau, en vrai Berlinois, posséder un voire deux vélos d'occasion avec de chouettes pneus "Schwalbe" prétendument "unplattbar" mais qui finissent quand même par crever, le Vélib, que l'on peut lâcher où bon nous semble et qui ne nous oblige pas à rester encombré d'un vélo le reste de la soirée si l'on en a plus besoin, c'est parfois drôlement pratique. On aimerait bien en avoir sous la main lorsque l'on se retrouve à attacher et à détacher son Fahrrad tous les 50 mètres tout en faisant la tournée des bars et des boîtes de Kottbusser Tor par une soirée pluvieuse et glaciale de novembre. Voici un pur produit du génie français qui fait cruellement défaut par ici ! Et qu'on ne vienne pas me parler des "DB Bikes", ces trucs rouges bizarroïdes que les trois quarts de la population locale regardent avec une suspicion mêlée de dédain, avec raison.

http://www.dickes-en.de/wp-content/uploads/2009/08/call_a_bike.jpg

Mais ce qui m'a le plus manqué de Paris, en arrivant à Berlin, c'est le cinéma. Bien sûr, le cinéma existe à Berlin comme ailleurs, et certaines salles de Kino sont très belles et ont une histoire riche, tragique et passionnante, à l'image de l'histoire récente de la ville. Mais quand on est habitué aux cinés parisiens absolument partout, aux petites salles et aux méga-multiplexes, qui montrent presque tous les films en VO, du petit film tibétain méconnu à la super-production au budget supérieur aux sommes prêtées par le FMI à l'Irlande, quand on s'est gavé de cartes UGC-Mk2 Illimité, il est douloureux d'atterrir dans un quasi-désert cinématographique où presque toutes les salles passent des films doublés en allemand, pour le plus grand bonheur d'un public paresseux et allergique aux sous-titres. Les rares cinémas qui montrent tout de même un peu de VO de temps en temps sont une toute petite minorité assiégée et menacée par les cohortes de George Clooney et de Gérard Depardieu qui s'expriment dans un allemand parfait avec une voix horripilante et méconnaissable. Et encore, même lorsque l'on a réussi à localiser les meilleurs cinémas qui passent les films en version originale, force est de reconnaître que ça nous fait une belle jambe lorsqu'il s'agit de voir ce pur chef d'œuvre israélo-moldave qui a failli remporter l'Ours d'or à la dernière Berlinale, en version originale roumano-yiddish sous-titrée en allemand... Héhé, dit comme ça, ça a l'air d'une blague mais j'exagère vraiment à peine puisque le lauréat 2010, Miel, est un film turc, et le lauréat 2009, La Teta asustada, un film péruvien partiellement en langue quechua. L'expérience le prouve, les sous-titres en allemand, ça devient vite pénible dès lors que l'on a vraiment besoin de les lire pour suivre le film. Bref, cinéphiles, passez votre chemin, sinon apprenez d'urgence l'allemand ou alors habituez-vous à la pénurie.

Ainsi, petit à petit, l'on fait son deuil du cinéma, et l'on se résigne à voir un film ou deux au maximum par mois sur grand écran. En cas de manque, il reste les DVD, et le reste de l'offre culturelle berlinoise surabondante pour compenser.

Mais de temps en temps, Berlin oblige, l'amateur de toiles fait des expériences qui ne peuvent se faire nulle part ailleurs, même à Paris. Ainsi, hier soir j'ai eu l'occasion de voir un film muet des années 1920 au Kino Babylon Mitte, à Rosa-Luxemburg-Platz. Cet établissement historique et résolument intello projette une ou deux fois par mois, dans sa plus grande salle, un film muet en noir et blanc, avec accompagnement live au piano et à l'orgue d'un musicien de la maison. Avant le film, on a droit à un petit speech d'un gars qui nous rappelle, en se bombant le torse, que ce cinéma existe depuis l'époque des films muets, et est le dernier établissement d'Europe disposant du matériel complet de l'époque, y compris un écran spécifique pour films muets (différent des écrans de films parlants, paraît-il, mais ne me demandez pas où est la différence). Mazette !



Le film, c'était Les Lois de l'hospitalité, ou Our Hospitality de Buster Keaton (1923). En VO bien sûr, et SANS sous-titres s'il vous plaît (oui, même les Allemands ne savent pas s'y prendre pour doubler les films muets). Une histoire d'honneur familial, de passions, de violence, d'amour impossible et de réconciliation, tout ceci en 75 minutes environ et bien sûr sans paroles. Le cinéma muet, c'est vraiment autre chose avec les mimiques exagérées des acteurs, les gestes saccadés, les gags "subtils" et désopilants à la manière des aventures de Tom & Jerry ou de Bip-Bip et Coyote, quelques scènes qui rappellent que les temps ont changé, heureusement (par exemple les femmes ultra-cruches ou les domestiques noirs au service du riche "missié" blanc), la bobine qui saute de temps en temps et en général dans les moments clés, mais aussi pas mal de prouesses techniques sur les décors, les trucages et les cascades à couper le souffle, que l'on n'attendait pas forcément à cette époque lointaine.

Le plus impressionnant, c'est que pendant toute la durée du film, un musicien alternait entre l'orgue et le piano (plus quelques instruments d'appoint, des cloches, etc), improvisant au gré des situations, accentuant la tension de certaines scènes de suspense avec des notes graves, soulignant la légèreté d'autres situations, modulant le rythme pour évoquer le tonnerre, les chutes, quelqu'un qui frappe à une porte, une surprise, un choc, etc. Vraiment doué le gars. Le mensuel anglophone Exberliner, première publication à laquelle je me suis abonné depuis l'époque de la prépa où l'on était obligé de prendre un abonnement à Time ou à Newsweek pour améliorer son anglais, a interviewé le pianiste dans son numéro de janvier :

Le pianiste du Kino Babylon Mitte


Alors, évidemment, oubliez le son dolby surround, mettez-y à la place l'acoustique traditionnelle d'une vieille salle conçue pour s'en passer. Laissez tomber les effets spéciaux qui décoiffent, la 3D et toutes ces choses. Mais le cinéma comme au temps des pionniers, c'est un vrai voyage dans le temps et à peu de frais (12€ dont 6€ pour le "concert" live).

Ici, une scène du film, l'épique voyage en train du jeune McKay vers sa ville natale, où il se jette dans la gueule du loup. La musique était très différente au Babylon Mitte, l'ambiance live, c'est incomparable, et le pianiste assurait vraiment.


Prochain objectif : les projections de Metropolis et de Nosferatu le Vampire.

2 commentaires:

  1. C'est bizarre, j'ai laissé un commentaire ici la semaine dernière. Bon, j'ai oublié ce que j'y disais d'intéressant, tant pis. En tous cas, oui, le Kino Babylon, c'est une référence. J'y vais aussi pour voir des films espagnols de temps à autre, sinon je fuis comme toi tout film doublé en allemand, ça me crispe...Merci pour ce post, il y a plein de petites choses que j'ai appris au passage :)

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  2. Bizarre en effet, mais merci d'avoir persévéré malgré tout :-)
    Ça m'arrive parfois de me tromper et d'aller voir des films doublés alors que je pensais aller voir de la VO. L'horreur absolue !!
    Les films en espagnol, j'adore et je sais qu'ils en passent régulièrement... Et tous les festivals qu'il y a, comme celui des courts métrages la semaine dernière. Vraiment un super ciné, ce Kino Babylon !
    Bonne soirée et bonne semaine qui redémarre, arffff :-(

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